Luc van Dongen, Un purgatoire très discret. La transition « helvétique » d’anciens nazis, fascistes et collaborateurs après 1945. Paris, Perrin, 2008, 649 p. (ISBN 978-2-262-02650-9)

Première partie : Pour eux, la Suisse.
1- Typologie d’une marée noir-brun-gris
Vichy sur Léman ?
p. 72
Quelques autres jouissaient d’une certaine notoriété lors de leur arrivée en Suisse : tel le journaliste et éditeur du Nouvelliste Pierre Arminjon, le propagandiste à Radio-Journal de Paris – et milicien- Jean Azéma, le gérant franco-suisse de Je suis partout Georges Bozonnat, le rédacteur en chef lavalien de La France au travail puis de La France socialiste Georges Daudet ou encore l’écrivain, directeur littéraire et journaliste – notamment à Je suis partout – Louis Thomas, lequel ne tiendra toutefois que deux mois en Suisse avant d’être refoulé.

Deuxième partie : Arrangements avec le « Mal ».
7- L’accueil « collabo »
Bons vichystes, bons patriotes, bons fonctionnaires

– p. 279
Une série de réfugiés jouirent incontestablement d’un important crédit de sympathie auprès des autorités suisses, lequel peut être mis en relation avec l’image très répandue aussi bien en Suisse qu’en France, depuis la guerre jusque probablement dans les années 1960, d’un « bon Vichy » incarné par la figure de Pétain, en opposition à un « mauvais Vichy » symbolisé par Laval. Autant un Georges Daudet était stigmatisé par le MP (Dick) comme un inconditionnel de Laval, autant de nombreux autres personnages étaient exonérés, sinon valorisés, pour leur maréchalisme.
Une vaste constellation de soutiens
Le consultant et démarcheur Jean Jardin
– p. 302
Jardin agit non seulement en démarcheur mais aussi, ce qui est plus surprenant, en « consultant ». Il intervenait pour rendre possible le séjour en Suisse de ceux qu’il jugeait dignes d’y être (Abellio, Daudet, Du Bief, Jamet, Bonnet, Sarton du Jonchay, assistait matériellement ou moralement  ses compagnons une fois que ceux-ci avaient réussi à se fixer dans le pays (René Brunet), frayait avec les exilés les plus intéressants (Jouvenel, Hilaire, Pomaret, Scapini, Gillouin, Bléhaut, Rochat, Morand…).
L’empire de la connivence
– p. 306-307
L’activité su collaborationniste suisse Oltramare expliqua en partie l’admission du Français Georges Daudet. Le MP prévint les instances concernées : « Aucune proposition ne devra être faite à la PFE […] sans en référer à M. [René] Dubois [adjoint au service juridique du MP]. Le cas l’intéresse tout spécialement, cet étranger ayant été en contact à Paris avec Oltramare et pouvant éventuellement être appelé à témoigner au procès de ce dernier. » Daudet accepta de témoigner et l’inspecteur Müller loua son courage. Dans ces conditions, estima le policier suisse, le MP aurait « mauvais grâce à ne pas faire un geste » à son égard. On peut même se demander si le MP ne s’était pas livré à un chantage pour obtenir le témoignage de Daudet. Un certificat établi par Georges Hilaire le suggère fortement : « Je soussigné Georges Hilaire […], déclare avoir reçu la visite de mon compatriote et ami, M. Georges Delhomme, dit Georges Daudet. […] M. Georges Daudet me déclara qu’il venait me consulter sur le fait suivant : des envoyés (ou agents) de la police fédérale l’avaient convoqué […] et l’avaient invité à déposer comme témoin à charge au procès de M. Georges Oltramare […] lui faisant valoir que, dans ou il s’y refuserait, sa situation en Suisse ne serait pas régularisée. Les propos que me tint M. Daudet furent en substance les suivants : « Je connais à peine Oltramare et le procès qu’on lui fait est d’intérêt suisse, et non pas d’intérêt français. Fournir un témoignage de ce genre est, d’autre part, contraire à tous mes principes. Plutôt que de céder à des propositions de même nature, concernant le procès du président Laval, j’ai préféré prendre la fuite, et j’ai été condamné à mort. Que dois-je faire ? La police française va découvrir que je suis en Suisse. J’ai une femme et des enfants. Je suis sans ressources. J’ai trouvé un petit emploi d’aide-magasinier chez une épicerie de Bramois. Je risque d’être reconduit à la frontière. »
– p. 309
L’inspecteur Müller, plus encore que Knecht, se distingua par sa bienveillance à l’égard des « collabos », insistant inlassablement sur l’inhumanité de leur refoulement. Les Daudet, Contensouzac, Denat, Neveux, Lauer, Finet et autres Granier n’en eurent qu’à s’en féliciter.

Troisième partie : Leur transision.
10- Les « collabos »
Un nid en Suisse

– p. 402-403
Même détachement chez Daudet, qui n’apprécia guère de recevoir un lettre du fasciste suisse Georges Oltramare en 1953 et qui lui répondit sèchement : « votre lettre me rappelle un passé révolu que je suis décidé à oublier ». Au-delà des années 1950, ceux qui n’avaient pas de raison particulière de retourner en France et/ou de quitter leur pays d’accueil commencèrent à se faire à l’idée d’adopter la Suisse comme seconde patrie. Cette observation d’un inspecteur de la MP le met en relief : « Daudet a maintenant une situation qui lui permet de vivre gentiment. Plus celle-ci s’améliorera, moins il cherchera à partir, et tant que les autorités n’utiliseront pas d’autres moyens de coercition qu’une simple invitation, même répétée, à entreprendre des démarches en vue de son départ, Daudet, comme d’ailleurs tous les étrangers bénéficiant du statut de réfugiés, cherchera à s’implanter définitivement en Suisse. »

 

Luc van Dongen, Le refuge des vaincus, Annales valaisannes, 2005, p. 153

Les grands principes, au demeurant fort élastiques, sont cependant loin de rendre compte du véritable processus qui a rendu possible le refuge brun. Pour saisir la réalité, il est nécessaire de se plonger dans les situations concrètes. Ainsi, le collaborationniste pur sucre Georges Daudet (1902), qui avait été chargé par Laval d’administrer le journal La France au travail en novembre 1940 et qui avait ensuite dirigé La France socialiste jusqu’en août 1944, était par exemple parvenu à s’installer en Suisse grâce à un faisceau pluriel et particulier de facteurs. Au début, non seulement le MP refusa de le considérer comme réfugié politique, ce qui était conforme aux principes, mais il ne voulut pas non plus le prendre sous son contrôle, sous prétexte qu’il avait été un partisan inconditionnel de Laval. Singulier argument ! Celui-ci reposait certes sur l’image très en vogue à l’époque d’un bon et d’un mauvais Vichy, mais aucun texte ne mentionnait une telle nuance. Puis, on décida quand même de le tolérer. La nouvelle de sa condamnation à mort, l’attitude favorable du Valais, l’intérêt du MP pour sa personne, sa promesse de quitter la Suisse dès que possible et l’intervention d’un influent notable valaisan furent sans doute à l’origine de la décision. Toujours est-il qu’il se fixa en Valais, où il entra rapidement au service de la maison Charles Duc, importateur en gros de denrées coloniales. En septembre 1954, un inspecteur suisse notait que Daudet, ainsi d’ailleurs que tous les réfugiés français qui se trouvent encore en Valais, n’[a] jusqu’à maintenant jamais fait d’efforts trop considérables pour chercher à quitter la Suisse. En outre, (il) a maintenant quatre enfants. Les deux cadets sont nés à Sion, où la famille est, à présent, très bien installée. Depuis sept ans, l’intéressé voyage pour la même maison, où il est excellemment noté. Il gagne sa vie largement, après avoir dû travailler d’arrache-pied pour se faire une clientèle. Pourquoi donc chercherait-il à retourner en France ? Ce n’est peut-être pas conforme aux prescriptions qui lui furent imposées à l’époque […], mais c’est par contre humain. L’ancien propagandiste décédera quatre ans plus tard, alors qu’il était établi régulièrement, et sera enterré à Sion le 17 novembre 1958.

Georges Oltramare, Les souvenirs nous vengent, Paris, Déterna, 2000, 197 p. (913044-31-X), p. 139, 147, 149

p. 139, Un quotidien improvisé

L’Ambassade rêvait de lancer un quotidien destiné aux syndicats et à la classe laborieuse. Elle chargea l’avocat Picard du soin de recruter dans le clan des Moscoutaires. Picard, d’un cynisme rance et lugubre, qui voyait partout chantage, pédérastie et pourriture, rabattait avec des cris de triomphe le plus décevant des gibiers :

« J’ai circonvenu Juliette Goublet ! J’aurai Me Berthon ! Nous mettrons la main sur un cousin de Maurice Thorez ! »

Van den Brooke, demi-fou, renégat du marxisme et plus agité qu’agitateur, avait trouvé le titre : La France au Travail. Accompagné de l’analphabète Houssard, il présenta une maquette ahurissante. Il fut congédié, mais le temps pressait. Comment créer un journal en une semaine ? On avait fixé au 30 juin la date du premier numéro. Quatre jours passèrent en discussions oiseuses et, le 28 juin, Friedrich Sieburg et le Dr Feihl me proposèrent de diriger la France au Travail, feuille qui, à défaut de programme, possédait déjà une imprimerie. Que faire ? J’avais quarante-huit heures devant moi. Je rencontre sur les boulevards Daniel Perret, je l’engage comme secrétaire de rédaction. Je m’installe, rue Montmartre, dans les locaux de l’Humanité où viennent me solliciter, leur copie à la main, des génies méconnus, des intellectuels en chômage, des échotiers, des polygraphes. J’ai l’embarras du choix. Je retiens le gros Martin-Dubois, dont la verve anima des brûlots anarchistes et Le Courrier Royal ; de Bellaing, dit Jacques Dyssord, gentilhomme béarnais et poète de talent, qui retrouvait au bordel la muse de Villon ; Saint-Serge, descendant de Mme de Maintenon (par Louis XIV ?) ; l’actif et courageux Henri Coston, émule de Drumont et d’Urbain Gohier, et Sylvain Bonmariage, devenu « nègre » à force de vivre à l’ombre de Willy.

 

p. 147, A l’hôtel Terminus avec Pierre Laval

(…)

Il (Laval) mange en ouvrant la bouche ; je remarque sa denture extraordinaire. Pareil à la sœur de Mithridate, Laval a une double rangée de dents à chaque mâchoire. Chaque dent a une rallonge.

J’ai su par la suite que, de ses crocs redoutables, il voulait s’emparer de La France au Travail, la baptiser France Socialiste et y placer ses créatures.

En déjeunant, Laval insinua que les journalistes avaient besoin d’un puissant appui. Etait-ce une offre déguisée ? Je feignis de ne pas comprendre et Laval a dû penser, à ce moment-là, que je ne servirais pas sa politique. Il fallait donc m’éliminer.

p. 149-150, Entretien à la Villa Saïd

Depuis que Rudolf Rahn, après la malheureuse expérience de Jean Fontenoy, m’avait rendu La France au Travail, un certain Delhomme, dit Georges Daudet, intriguait contre moi. Je n’aimais pas sa face lunaire et sa voix fluette. Il avait pris le titre d’Administrateur général et s’immisçait dans la rédaction. Quand je protestais, il me laissait entendre qu’il agissait au nom de Laval.

Etait-ce vrai ? Je voulus en avoir le cœur net. Henri Herson me ménage un rendez-vous et au printemps 1941, le Président destitué me reçoit à la Villa Saïd dans son bureau-salon assez médiocrement meublé.

-Daudet, lui dis-je, se vante d’être votre agent. Si c’est exact, il est maladroit. Si c’est faux, il est dangereux.

Laval tire sur sa cigarette et me jette un regard haineux de Gitan :

-Vous m’étonnez. Ce Daudet a milité en faveur de la Collaboration bien avant la guerre. Achenbach, de l’Ambassade, le connaît. Il jouit de la confiance des Allemands.

En d’autres termes : « Ne touchez pas à ma clientèle d’hommes corrompus et dévoués ».

(…)

Barbara Lambauer (préf. Jean-Pierre Azéma), Otto Abetz et les Français ou L’envers de la Collaboration, Paris, Fayard, coll. « Pour une histoire du xxe siècle », 2001, 895 p. (ISBN 2-213-61023-1), p. 144-145

Deuxième partie, La collaboration de 1940 – Abetz et Laval, Chapitre premier, Installation à Paris : l’été 1940 – Saison de règlements de comptes

 

Ce n’est évidemment pas la seule initiative d’Abetz en direction du milieu ouvrier : parallèlement aux négociations avec les communistes, il crée un quotidien, La France au travail, destiné dès ses débuts à concurrencer le journal communiste. Paraissant à partir du 30 juin 1940, ce quotidien est entièrement financé par la rue de Lille, qui a soigneusement introduit dans la rédaction un certain Ihlefeld, collaborateur de ses services. De plus, Abetz se sert des avocats Picard et Juliette Gouflet, dont « l’obscurité ou le discrédit » sont à l’image des journalistes recrutés pour ce nouveau quotidien. Son directeur Jean Drault, marqué par son antisémitisme, fait partie des « purs et durs » parmi les activistes collaborationnistes. Son rédacteur en chef, le Suisse Georges Oltramare, alias Charles Dieudonné, est un proche collaborateur de l’ambassade de laquelle il reçoit d’ailleurs son salaire ; il s’active en outre à Radio-Paris, où il anime une émission intitulée « Un neutre vous parle ». Les réunions de l’équipe de La France au travail ont lieu tous les matins rue de Lille, Abetz distribuant personnellement les directives générales, et parfois même des instructions précises pour les articles à rédiger. La ressemblance du journal avec L’Humanité clandestine est frappante. Selon Denis Peschanski, on y observe « la même dénonciation de l’impérialisme britannique et des fauteurs de guerre ; la même exaltation des nécessaires bons rapports avec l’Union soviétique ; la même attaque contre les ploutocrates capitalistes de Vichy ; surtout, la même exigence, sans arrêt répétée, de la libération des militants communistes emprisonnés durant la  » drôle de guerre  » pour avoir défendu la paix ». Seule nuance, tout de même sensible : le fervent antisémitisme de La France au travail. Les premières semaines, le journal est un succès : son tirage atteint 92 000 exemplaires, et en août il s’élève à 180 000. Mais une dénonciation vigoureuse de la part du PCF au début de septembre, accompagnée par la multiplication des organes de presse en zone occupée et des remous au sein même de la rédaction mettent fin à cette réussite ; les ventes s’effondrent alors.

Jean Quéval, Première page, cinquième colonne, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1945, 358 p. (ASIN: B00178JIMU), p. 62

Deuxième chapitre – Les durs et les mous

 

La France au Travail parut sur deux pages du 30 juin au 4 août, tantôt sur deux et tantôt sur quatre pendant quelques jours, enfin, régulièrement sur quatre à partir du 8 août 1940.

Les manchettes publiées entre le 4 et le 8 août précisaient comme suit la composition de l’état-major : directeur : Jean Drault ; rédacteur en chef : Charles Dieudonné ; secrétaire de rédaction : Henry Coston. Etat-major modifié en octobre 1940 par la disparition de Jean Drault, l’ascension de Charles Dieudonné au poste de directeur et la nomination d’un nouveau rédacteur en chef, Jean Fontenoy, qui ne demeura en place que quelques semaines. Ajoutons que, quelques mois plus tard, un certain Daudé (sic) doublera Dieudonné au poste de directeur.

 

Sixième chapitre – Le mythe et l’escroquerie

(…) De l’équipe rassemblée à La France socialiste par le directeur général Georges Daudet, quatre noms doivent être détachés : Pierre Hamp, Claude Jamet, Hubert Lagardelle et René Château. Eux seuls donnent en effet un peu de ton et de vie à ce journal d’écoliers.

(…) C’est assez pour rendre à leur néant les autres éditorialistes recrutés par Georges Daudet.

Jean-François Sirinelli, Génération intellectuelle : Khâgneux et Normaliens dans l’entre-deux-guerres, Paris, Fayard, 1988, 722 p. (ISBN 978-2130446859)

Annexe V

 

Note à l’attention de M. Le Conseiller d’Ambassade Schwendemann envoyée à ce dernier par René Château le 5 juillet 1943.

 

Monsieur le Conseiller,

 

J’ai l’honneur, pour confirmer l’entrevue que vous avez eue le 2 juillet avec mes amis et moi-même, de vous exposer les faits et les réflexions suivantes :

Le 30 juin, M. Georges Daudet, Directeur Général de La France socialiste, m’a informé qu’il aurait reçu mandat des autorités occupantes de me retirer la Direction Politique de ce journal, parce que la politique que je faisais déplairait à ces autorités.

Georges Daudet m’avait d’ailleurs plusieurs fois averti, pendant ces dernières semaines, que ces autorités jugeaient avec défaveur mon obstination à défendre certaines idées de politique intérieure et extérieure. Il m’avait fait prévoir que, si je continuais, je courrais le risque d’être l’objet de mesures dont il serait l’exécutant.

J’ai l’honneur de vous demander avec la plus grande insistance si les dires de M. Georges Daudet correspondent à la réalité.

Et voici pourquoi.

Mes amis et moi-même sommes depuis de longues années des militants convaincus du rapprochement franco-allemand et de l’idée européenne. Nous avons, pour ces idées, combattu au moment de l’adversité allemande, sous la République de Weimar. Nous avons continué cette lutte après l’avènement du National-Socialisme, malgré les injures et les calomnies. Nous avons continué depuis l’armistice, malgré les ressentiments que tant de nos concitoyens nourrissent contre l’Allemagne.

Nous sommes disposés à continuer encore, à continuer toujours. Car rien ne nous inspire que la volonté de faire cesser entre vous et nous les guerres cruelles qui, en moins d’un siècle, ont trois fois décimé nos jeunesses, et que de construire enfin une Europe, équitable et libre, où les jeunes générations puissent vivre.

Nous avons, pour faire comprendre autour de nous ces idées, la force morale qui s’attache à des militants que le public sait depuis longtemps convaincus, dont il sait qu’ils n’agissent pas aux ordres, ni moyennant subsides, ni parce que vous êtes là. Et nous sommes, par suite, pacifistes d’avant-guerre, syndicalistes, socialistes, dans une période où convaincre est si difficile, les hommes qui pouvons être et qui sommes les plus écoutés.

Je tiens d’ailleurs à dire que, quoi qu’il advienne, nous ne changerons pas. Nous serions, au cas où le sort des armes vous serait défavorable, les hommes qui, à la paix, élèveraient la voix pour demander qu’on respectât l’Allemagne, pour que de nouveaux ressentiments et de nouvelles haines ne fussent pas cause de guerre à nouveau.

Mais encore faut-il, pour que nous continuions à défendre l’idée de l’Europe, présentement (c’est-à-dire à une époque où l’Europe a de grandes chances d’être faite après votre victoire), que nous ayons la certitude que l’Europe serait, après votre victoire, telle que nous l’avons toujours espérée et fait espérer. Or nous n’avons jamais espéré, ni jamais conçu comme possible une autre Europe que celle où les différentes nations seraient libres de leurs régimes, de leurs gouvernements et de leurs opinions politiques. Certes, nous concevons bien qu’il y faudra une unité économique et, par suite, un certain nombre d’ajustements et de disciplines matérielles. Mais nous prévoyons trop que si, dans cette Europe, devait sévir un impérialisme politique tel que ceux qui ont échoué dans le passé, des ressentiments et des révoltes ne manqueraient pas de renaître. Et la guerre reviendrait.

C’est pourquoi nous avons toujours proposé à nos concitoyens l’idée d’une Europe économiquement une, mais laissant à chaque nation sa liberté politique, à la seule condition de n’en pas user pour troubler l’ordre général. Nous avons d’ailleurs la certitude que c’est là l’Europe que, dans leur immense majorité, les Français sont prêts à accepter.

Nous avons d’ailleurs imaginé qu’il ne serait pas impossible que l’accord se fît à ce sujet entre la France et l’Allemagne. L’entrevue de Montoire, le discours du Dr Goebbels en date du 14 mars 1943 et le récent discours du Président Laval nous avaient fait espérer que l’Europe nouvelle ne se ferait pas aux dépens de l’individualité ni de l’indépendance françaises et qu’y trouvant enfin la paix, la France y conserverait la liberté d’être comme elle est et comme elle se voudra.

Et c’est pourquoi la mesure qui, aux dires de M. Georges Daudet, a été prise contre moi par ordre des autorités occupantes a provoqué beaucoup d’émotion parmi mes amis. Il ne s’agit pas, bien sûr, de ma personne, qui est de mince importance, bien que mes amis me fassent l’honneur d’y être attachés. Il s’agit, très exactement, de savoir si nous n’avions pas tort d’avoir tant de confiance et d’espoir, si nous ne trompions pas nos camarades et nos concitoyens quand nous nous efforcions de leur faire partager ces sentiments.

 

En effet, s’il est vrai que c’est par votre ordre que je suis chassé de la Direction Politique de La France socialiste, s’il est vrai que cette mesure est prise par ordre des autorités occupantes qui ne peuvent plus tolérer qu’en France des citoyens, ne parlant pourtant que de leur pays, continuent à défendre l’idée d’une république meilleure et plus forte, le principe d’un syndicalisme indépendant et constructif, l’espoir d’un socialisme vigoureusement révolutionnaire et authentiquement français et le désir qu’ils ont d’une France politiquement indépendante dans une Europe unie, enfin si M. Georges Daudet, qui prétend agir sur le mandat des autorités occupantes, dit bien vrai, bien des choses sont remises en question.

Vous trouverez ci-inclus le double d’une motion par laquelle un certain nombre de mes amis syndicalistes, socialistes et républicains expriment leur émotion.

Quant à moi, je ne puis pas ne pas vous exprimer ma stupéfaction. Je dois d’ailleurs ajouter que les conditions dans lesquelles M. Georges Daudet a rempli son prétendu  » mandat  » ont ajouté à cette stupéfaction. En effet, après m’avoir annoncé la mesure prise contre moi, il m’a informé qu’on souhaitait pourtant que je continuasse à écrire dans La France socialiste, pour que le journal ne changeât pas trop visiblement ni trop soudainement de caractère. Et voici dans quelles conditions. J’écrirais dans ce journal, par mois, onze articles signés, à 1000 F l’un, et 25 éditoriaux, au tarif de 250 F l’un. Financièrement, ce serait une affaire, car je recevrais plus que je ne le faisais ! Mais les conditions politiques seraient de tout autre nature. J’écrirais à l’article, ce qui laisserait à M. Georges Daudet, mandaté ou non, la liberté de se débarrasser définitivement de ma collaboration, quand j’aurais assez servi à camoufler le  » tournant « . Par ailleurs, M. Georges Daudet a refusé de m’indiquer quels sont les nouveaux collaborateurs politiques auprès desquels j’aurais à signer. Enfin, sur une question nette, il a répondu que je n’aurais plus la liberté de choisir le sujet et la doctrine des articles et des éditoriaux qu’il me proposait de continuer à rédiger.

Je m’excuse de ces détails sordides. Mais on comprendra qu’en ce qui me concerne ils n’aient pas peu contribué à me donner l’impression que de toutes façons on entend m’empêcher d’exprimer désormais, avec liberté, les idées que depuis 1940 j’avais pu exprimer.

S’il est vrai, comme M. Georges Daudet le prétend, que c’est par mandat des autorités occupantes, je n’ai, bien entendu, qu’à m’incliner et qu’à rentrer dans le silence, certes inchangé, mais renonçant à éveiller chez les autres un espoir que je ne pourrais plus moi-même partager.

Voilà pourquoi je me permets de vous demander si les dires de M. Georges Daudet correspondent à la réalité.

Veuillez agréer, Monsieur le Conseiller, l’expression de mes sentiments les meilleurs.

 

Paris, le 5 juillet 1943

 

René Château

 

P.S. – Je comptais vous remettre cette note ce soir même. Puisque notre rendez-vous est remis jusqu’à demain, 17 heures, je me décide à vous l’envoyer. »

Denis Peschanski (sous la direction de), Vichy 1940-1944. Quaderni e documenti inediti di Angelo Tasca/Archives de guerre d’Angelo Tasca, Annali [compte rendu] Paris-Milan, CNRS-Feltrinelli Editore, 1986, 750 p. (ISBN 978-2222038436), p. 444

(19.1.43) Vu Arnol, qui m’a donné des nouvelles de l’Effort. Paul Rives a vendu ses actions à Daudet, qui a récupéré aussi celles de Viévard. Spinasse a fini par les céder lui aussi, mais avec la clause que la somme fût versée à l’ancien Populaire. Le Conseil d’administration qui a exécuté l’opération contre Spinasse n’existe déjà plus ; c’est Daudet qui a tout concentré en ses mains. Le rôle de Rives est de plus en plus effacé ; ses articles sont censurés par la véritable direction. Il n’a plus au journal aucun pouvoir. Rives s’en venge en disant et en écrivant (une carte interzone a été saisie par la censure) que l’Effort est devenu un journal « gaulliste » ! Il est très probable que Rives devra quitter le journal ; tout au moins il en manifeste l’intention à tous ceux qui veulent l’entendre et même à ceux qui s’en passeraient volontiers. Ce serait le dénouement que j’avais prévu dès le début comme inévitable.

Georges Hilaire (sous le pseudonyme de Julien Clermont) l’Homme qu’il fallait tuer, Pierre Laval, éditions Ch. De Jonquières 1949, p 313

(…)

-Les juges auraient bien voulu susciter contre Laval une cinquantaine de témoins à charge, dit le journaliste. Mais ils n’ont trouvé qu’un général, un ambassadeur, une dactylo… alors ils ont voulu fabriquer de faux témoins. Ils ont fait pressentir mon camarade Georges Daudet, ancien directeur de La France Socialiste, ce journal de zone occupée que le Président avait réussi à soustraire au contrôle allemand. Un ami est venu trouver Daudet et lui dit « Veux-tu charger Laval ? On te tiendra compte de ton engagement à la Légion étrangère. On te blanchira ». Daudet est un homme. Il a refusé.

-Il a été condamné à mort, dis-je.

Affiche électorale, second tour des municipales, Paris quartier du Mail, 16 février 1936

AN 74AP/8, archives Paul Reynaud

 

POURQUOI JE SUIS OFFICIELLEMENT CANDIDAT

 

Je m’étais, avant le premier tour, imposé le devoir de démasquer ARMAND LANOTE que malheureusement je connais depuis longtemps. J’ai exposé des faits. J’ai prouvé. 697 électeurs ont fermé les yeux et se sont bouché les oreilles. Je ne puis les en féliciter.

Le résultat en est que les candidats honnêtes sont dégoutés de la veulerie des électeurs et estiment n’avoir plus rien à faire dans une bataille où les indépendants douteux et tarés sont préférés aux honnêtes gens.

Je ne puis croire quant à moi à une indifférence qui a l’apparence d’une complicité. Cette élection qu’on le veuille ou non reste placée sous le signe de la majorité et de la lutte anti communiste.

A. LANOTE sera battu dimanche 16 février parce qu’on ne saurait faire confiance à un collaborateur des pilleurs de l’épargne.

M. DELON sera battu dimanche parce qu’il représente le parti de ceux qui sont contre les commerçants par leur doctrine collectiviste, contre les travailleurs par la prolétarisation ou autrement.

751 électeurs m’ont déjà adressé leurs lettres de sympathique encouragement.

Il leur suffira de faire bloc sur mon nom pour assurer la défaite de l’arriviste et du communiste.

Vive le quartier du Mail.

GEORGES A. DAVDET

candidat républicain indépendant.