Éditorial de « La France Socialiste » du 28 janvier 1944

BNF

Pour une politique

socialiste

 

Une importante nouvelle pour les lecteurs de « La France Socialiste ».

 

Hubert Lagardelle devient, dans une rédaction politique élargie, le premier de nos collaborateurs.

Est-il besoin de souligner la portée de cet événement ?

 

Tous nos lecteurs connaissent Hubert Lagardelle, les uns pour avoir été ses compagnons de lutte, ou ses adversaires de tendance, aux temps héroïques de l’unité socialiste française ; les autres – les jeunes surtout – pour l’avoir découvert depuis 1940 alors que la double confiance du Maréchal et du Président Laval l’avait appelé au ministère du Travail.

 

Hubert Lagardelle au premier rang des collaborateurs de « La France Socialiste », c’est la conclusion logique de l’effort que nous avons entrepris depuis plus de deux ans et que nous sommes fiers d’avoir pu mener à sa conclusion d’aujourd’hui malgré les circonstances difficiles.

 

Quel était en effet notre but ?

Apporter la preuve, en dégageant le socialisme et le syndicalisme du poids des contingences politiques qui, au cours de ces dernières années, les avait singulièrement affaiblis, qu’en eux résident presque exclusivement les seuls espoirs de renaissance de la nation meurtrie.

 

Nous avons tout d’abord donné tout notre concours à l’effort de regroupement des forces éparses du syndicalisme et c’est, en effet, dans « La France Socialiste » que les secrétaires de fédérations, de syndicats ou d’unions départementales ont lancé leurs appels. Grâce à eux, la Charte du Travail naissante a trouvé dans le syndicalisme une base que nul des responsables successifs du ministère du Travail ne songerait ni à nier ni à discuter.

 

De ce regroupement ouvrier devait, à notre sens, jaillir l’idée de l’inéluctable nécessité du socialisme, pour faire sortir de nos ruines morales et matérielles un Etat fort, dont enfin les droits du travail fussent la loi première.

 

Aussi abordons-nous, une fois révolue la deuxième année de notre existence, la seconde partie de notre tâche : dégager une doctrine socialiste, profondément et ardemment française, courageusement adaptée aux circonstances, afin que, la paix revenue, il n‘y ait aucune solution de continuité entre l’Etat déliquescent d’hier, l’Etat empirique d’aujourd’hui et l’Etat socialiste de demain, sans lequel la France risquerait de perdre son droit à l’existence de grande nation.

 

Par l’autorité que lui confère son expérience, par le développement de sa pensée, Hubert Lagardelle est mieux que quiconque capable de promouvoir l’unité, selon nous, essentielle entre le socialisme revendicatif d’hier et le socialisme constructif de demain, le syndicalisme étant la seule voie sûre par laquelle pourra s’instaurer le socialisme.

 

Il n’est, pour s’en convaincre, que de relire les numéros de la revue « Le Mouvement Socialiste » qu’au début de ce siècle fondait Hubert Lagardelle et à laquelle collaborait toute une équipe ouvrière depuis Fernand Pelloutier, l’animateur des Bourses du Travail jusqu’à Victor Grifuelhes, l’artisan de la première C.G.T.et tous les secrétaires des grandes fédérations ouvrières.

 

C’était l’époque où Lagardelle couronnait ses études de droit par une thèse toujours actuelle sur « l’évolution des syndicats ouvriers en France ». Et notre éminent camarade tout en parcourant l’Europe, passant presque une année entière en Allemagne, professant à Paris -aux Sociétés Savantes, au Collège Libre des Sciences Sociales – puis à Bruxelles, faisant enfin des séries de conférences sur les idées sociales en France, le socialisme et le syndicalisme ; en Italie, en Autriche, en Hongrie, en Bulgarie, en Roumanie, etc.

 

En même temps sa personnalité s’affirmait au sein du parti socialiste en France. Rappelons pour mémoire ses émouvantes controverses avec Guesde et Vaillant au Congrès de Nancy de 1907, avec Jaurès au Congrès de Toulouse en 1908, toujours sur le thème des rapports du socialisme et du syndicalisme parce qu’il entendait dégager ce dernier de l’emprise purement politique sous laquelle certains éléments du parti socialiste tentaient de l’étouffer.

Plusieurs années après la Grande Guerre, chargé de mission auprès de notre ambassade de Rome, il fit un long séjour d’études en Italie, suivit pas à pas la marche du syndicalisme et du corporatisme et publia une série d’articles dont ou trouve notamment la trace dans l’« Encyclopédie française » et « Les Documents français ».

 

1939, la guerre, la défaite, l’armistice. Hubert Lagardelle est appelé au ministère du Travail en 1942, ses efforts patients et persévérants, « La France Socialiste » les a décrits, jour après jour, en suivant son action opiniâtre pour réaliser la Charte du Travail.

 

Syndicalistes et socialistes ne l’honoreront jamais trop pour le courage dont il fit preuve en acceptant cette mission. Certes. Il connaissait les imperfections fondamentales de la loi qu’il allait avoir à appliquer, mais il la concevait susceptible, par son potentiel révolutionnaire, d’assurer plus de justice et de bien être aux travailleurs.

 

Après des mois de travail et de lutte, force lui fut de reconnaître que l’incompréhension des uns, l’opposition sourde des autres, les attaques ouvertes auxquelles se livrait contre lui la réaction alliée aux trusts rendaient son activité stérile.

Hubert Lagardelle est donc volontairement rentré dans le rang.

 

Quarante ans après avoir fondé « Le Mouvement Socialiste », il revient dans la presse, au combat socialiste, pour tenter de dégager par une action quotidienne la doctrine qui permettra de construire l’Etat socialiste de demain.

Magnifique exemple de courage, et quelle leçon pour tous ceux de nos camarades qui se réfugient dans un attentisme sans grandeur !

Les évènements de juin 40 ont laissé les socialistes français désorientés et leur désarroi était celui de tous nos compatriotes. Ils se seraient sans doute ressaisis si le silence des chefs n’avait accentué leur dispersion.

Les faillites politiques successives de l’avant-guerre, 1939 et la défaite ont démontré la nécessité de recréer une opinion socialiste qui, instruite par l’expérience, tienne compte des réalités contemporaines.

 

Aujourd’hui, devant la réaction capitaliste et la menace bolcheviste, nos camarades ont à faire publiquement et définitivement leur choix.

 

Georges DAUDET

Article publié dans La France Socialiste du 28 janvier 1944

accompagné d’une photo d’Hubert Lagardelle

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