Georges Oltramare, Les souvenirs nous vengent, Paris, Déterna, 2000, 197 p. (913044-31-X), p. 139, 147, 149

p. 139, Un quotidien improvisé

L’Ambassade rêvait de lancer un quotidien destiné aux syndicats et à la classe laborieuse. Elle chargea l’avocat Picard du soin de recruter dans le clan des Moscoutaires. Picard, d’un cynisme rance et lugubre, qui voyait partout chantage, pédérastie et pourriture, rabattait avec des cris de triomphe le plus décevant des gibiers :

« J’ai circonvenu Juliette Goublet ! J’aurai Me Berthon ! Nous mettrons la main sur un cousin de Maurice Thorez ! »

Van den Brooke, demi-fou, renégat du marxisme et plus agité qu’agitateur, avait trouvé le titre : La France au Travail. Accompagné de l’analphabète Houssard, il présenta une maquette ahurissante. Il fut congédié, mais le temps pressait. Comment créer un journal en une semaine ? On avait fixé au 30 juin la date du premier numéro. Quatre jours passèrent en discussions oiseuses et, le 28 juin, Friedrich Sieburg et le Dr Feihl me proposèrent de diriger la France au Travail, feuille qui, à défaut de programme, possédait déjà une imprimerie. Que faire ? J’avais quarante-huit heures devant moi. Je rencontre sur les boulevards Daniel Perret, je l’engage comme secrétaire de rédaction. Je m’installe, rue Montmartre, dans les locaux de l’Humanité où viennent me solliciter, leur copie à la main, des génies méconnus, des intellectuels en chômage, des échotiers, des polygraphes. J’ai l’embarras du choix. Je retiens le gros Martin-Dubois, dont la verve anima des brûlots anarchistes et Le Courrier Royal ; de Bellaing, dit Jacques Dyssord, gentilhomme béarnais et poète de talent, qui retrouvait au bordel la muse de Villon ; Saint-Serge, descendant de Mme de Maintenon (par Louis XIV ?) ; l’actif et courageux Henri Coston, émule de Drumont et d’Urbain Gohier, et Sylvain Bonmariage, devenu « nègre » à force de vivre à l’ombre de Willy.

 

p. 147, A l’hôtel Terminus avec Pierre Laval

(…)

Il (Laval) mange en ouvrant la bouche ; je remarque sa denture extraordinaire. Pareil à la sœur de Mithridate, Laval a une double rangée de dents à chaque mâchoire. Chaque dent a une rallonge.

J’ai su par la suite que, de ses crocs redoutables, il voulait s’emparer de La France au Travail, la baptiser France Socialiste et y placer ses créatures.

En déjeunant, Laval insinua que les journalistes avaient besoin d’un puissant appui. Etait-ce une offre déguisée ? Je feignis de ne pas comprendre et Laval a dû penser, à ce moment-là, que je ne servirais pas sa politique. Il fallait donc m’éliminer.

p. 149-150, Entretien à la Villa Saïd

Depuis que Rudolf Rahn, après la malheureuse expérience de Jean Fontenoy, m’avait rendu La France au Travail, un certain Delhomme, dit Georges Daudet, intriguait contre moi. Je n’aimais pas sa face lunaire et sa voix fluette. Il avait pris le titre d’Administrateur général et s’immisçait dans la rédaction. Quand je protestais, il me laissait entendre qu’il agissait au nom de Laval.

Etait-ce vrai ? Je voulus en avoir le cœur net. Henri Herson me ménage un rendez-vous et au printemps 1941, le Président destitué me reçoit à la Villa Saïd dans son bureau-salon assez médiocrement meublé.

-Daudet, lui dis-je, se vante d’être votre agent. Si c’est exact, il est maladroit. Si c’est faux, il est dangereux.

Laval tire sur sa cigarette et me jette un regard haineux de Gitan :

-Vous m’étonnez. Ce Daudet a milité en faveur de la Collaboration bien avant la guerre. Achenbach, de l’Ambassade, le connaît. Il jouit de la confiance des Allemands.

En d’autres termes : « Ne touchez pas à ma clientèle d’hommes corrompus et dévoués ».

(…)

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *