Luc van Dongen, Un purgatoire très discret. La transition « helvétique » d’anciens nazis, fascistes et collaborateurs après 1945. Paris, Perrin, 2008, 649 p. (ISBN 978-2-262-02650-9)

Première partie : Pour eux, la Suisse.
1- Typologie d’une marée noir-brun-gris
Vichy sur Léman ?
p. 72
Quelques autres jouissaient d’une certaine notoriété lors de leur arrivée en Suisse : tel le journaliste et éditeur du Nouvelliste Pierre Arminjon, le propagandiste à Radio-Journal de Paris – et milicien- Jean Azéma, le gérant franco-suisse de Je suis partout Georges Bozonnat, le rédacteur en chef lavalien de La France au travail puis de La France socialiste Georges Daudet ou encore l’écrivain, directeur littéraire et journaliste – notamment à Je suis partout – Louis Thomas, lequel ne tiendra toutefois que deux mois en Suisse avant d’être refoulé.

Deuxième partie : Arrangements avec le « Mal ».
7- L’accueil « collabo »
Bons vichystes, bons patriotes, bons fonctionnaires

– p. 279
Une série de réfugiés jouirent incontestablement d’un important crédit de sympathie auprès des autorités suisses, lequel peut être mis en relation avec l’image très répandue aussi bien en Suisse qu’en France, depuis la guerre jusque probablement dans les années 1960, d’un « bon Vichy » incarné par la figure de Pétain, en opposition à un « mauvais Vichy » symbolisé par Laval. Autant un Georges Daudet était stigmatisé par le MP (Dick) comme un inconditionnel de Laval, autant de nombreux autres personnages étaient exonérés, sinon valorisés, pour leur maréchalisme.
Une vaste constellation de soutiens
Le consultant et démarcheur Jean Jardin
– p. 302
Jardin agit non seulement en démarcheur mais aussi, ce qui est plus surprenant, en « consultant ». Il intervenait pour rendre possible le séjour en Suisse de ceux qu’il jugeait dignes d’y être (Abellio, Daudet, Du Bief, Jamet, Bonnet, Sarton du Jonchay, assistait matériellement ou moralement  ses compagnons une fois que ceux-ci avaient réussi à se fixer dans le pays (René Brunet), frayait avec les exilés les plus intéressants (Jouvenel, Hilaire, Pomaret, Scapini, Gillouin, Bléhaut, Rochat, Morand…).
L’empire de la connivence
– p. 306-307
L’activité su collaborationniste suisse Oltramare expliqua en partie l’admission du Français Georges Daudet. Le MP prévint les instances concernées : « Aucune proposition ne devra être faite à la PFE […] sans en référer à M. [René] Dubois [adjoint au service juridique du MP]. Le cas l’intéresse tout spécialement, cet étranger ayant été en contact à Paris avec Oltramare et pouvant éventuellement être appelé à témoigner au procès de ce dernier. » Daudet accepta de témoigner et l’inspecteur Müller loua son courage. Dans ces conditions, estima le policier suisse, le MP aurait « mauvais grâce à ne pas faire un geste » à son égard. On peut même se demander si le MP ne s’était pas livré à un chantage pour obtenir le témoignage de Daudet. Un certificat établi par Georges Hilaire le suggère fortement : « Je soussigné Georges Hilaire […], déclare avoir reçu la visite de mon compatriote et ami, M. Georges Delhomme, dit Georges Daudet. […] M. Georges Daudet me déclara qu’il venait me consulter sur le fait suivant : des envoyés (ou agents) de la police fédérale l’avaient convoqué […] et l’avaient invité à déposer comme témoin à charge au procès de M. Georges Oltramare […] lui faisant valoir que, dans ou il s’y refuserait, sa situation en Suisse ne serait pas régularisée. Les propos que me tint M. Daudet furent en substance les suivants : « Je connais à peine Oltramare et le procès qu’on lui fait est d’intérêt suisse, et non pas d’intérêt français. Fournir un témoignage de ce genre est, d’autre part, contraire à tous mes principes. Plutôt que de céder à des propositions de même nature, concernant le procès du président Laval, j’ai préféré prendre la fuite, et j’ai été condamné à mort. Que dois-je faire ? La police française va découvrir que je suis en Suisse. J’ai une femme et des enfants. Je suis sans ressources. J’ai trouvé un petit emploi d’aide-magasinier chez une épicerie de Bramois. Je risque d’être reconduit à la frontière. »
– p. 309
L’inspecteur Müller, plus encore que Knecht, se distingua par sa bienveillance à l’égard des « collabos », insistant inlassablement sur l’inhumanité de leur refoulement. Les Daudet, Contensouzac, Denat, Neveux, Lauer, Finet et autres Granier n’en eurent qu’à s’en féliciter.

Troisième partie : Leur transision.
10- Les « collabos »
Un nid en Suisse

– p. 402-403
Même détachement chez Daudet, qui n’apprécia guère de recevoir un lettre du fasciste suisse Georges Oltramare en 1953 et qui lui répondit sèchement : « votre lettre me rappelle un passé révolu que je suis décidé à oublier ». Au-delà des années 1950, ceux qui n’avaient pas de raison particulière de retourner en France et/ou de quitter leur pays d’accueil commencèrent à se faire à l’idée d’adopter la Suisse comme seconde patrie. Cette observation d’un inspecteur de la MP le met en relief : « Daudet a maintenant une situation qui lui permet de vivre gentiment. Plus celle-ci s’améliorera, moins il cherchera à partir, et tant que les autorités n’utiliseront pas d’autres moyens de coercition qu’une simple invitation, même répétée, à entreprendre des démarches en vue de son départ, Daudet, comme d’ailleurs tous les étrangers bénéficiant du statut de réfugiés, cherchera à s’implanter définitivement en Suisse. »

 

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