Tentative d’extorsion de fonds de 1938 – Jugement du 16 décembre 1941

Archives de Paris, D1U6 3832

Jugement rendu le 16 décembre 1941

par le Tribunal correctionnel de la Seine

(13ème chambre)

 

Pour le Procureur de la République

 

et pour

 

la Société anonyme Les Grandes Marques Réunies agissant poursuites et diligences de son administrateur délégué le sieur Godeau Hubert, élisant domicile au siège de ladite société, 19 rue Jean Beaufou (?) à Paris 7

 

contre

 

  • Libre, Daudet Georges, Adrien, Valentin, 39 ans, ingénieur, né le 11 mars 1902 à Chaillac arrondissement de Le Blanc, Indre, fils de Adrien et de Valentine Beaudet, célibataire, demeurant à Paris 9 Cité du Retro.
  • Libre, Vernay Pierre, Théodore, Robert, 32 ans, employé de commerce, né le 1er mars 1909 à Limace, Chili, fils de Pierre et de Thérèse Berquin, marié deux enfants demeurant à Paris 77 boulevard Beaumarchais nationalité Française.
  • Libre, Jeanne Vernay née Perrin Suzanne, 36 ans, sans profession, née le 24 décembre 1905 à Saint Quentin, Aisne, mariée deux enfants demeurant à Paris 77 boulevard Beaumarchais

 

Tentative d’extorsion de fonds, complicité

 

Le Tribunal, après en avoir délibéré conformément à la loi,

 

attendu que Daudet est poursuivi pour avoir tenté d’extorquer au sieur Godeau une somme de dix-neuf mille cinq cents francs et les époux Vernay pour complicité de tentative d’extorsion de fonds,

 

attendu que les époux Vernay nient toute complicité et sollicitent leur relaxe,

 

attendu que Daudet, tout en reconnaissant certains faits, nie avoir demandé à Godeau une somme quelconque, en tout cas soutient qu’il a agi avec bonne foi et non dans une intention délictuelle ou même dolosive,

 

attendu que le sieur Godeau, administrateur délégué de la société anonyme Les Grandes Marques Réunies sollicite du tribunal la condamnation des prévenus au paiement d’une somme de un franc au titre de dommage intérêts,

 

au fond,

 

attendu qu’il résulte de l’information et des débats que le sieur Godeau, chirurgien-dentiste, administrateur délégué de la société anonyme Les Grandes Marques Réunies reçut le trois septembre mille neuf cents trente-huit, alors qu’il se trouvait en Savoie, un télégramme anonyme ainsi conçu : « Pour affaire urgente G.M.R. prière vous tenir cabine Chapelle de quatorze heures trente à quinze heures (sic) », que à l’heure dite un correspondant inconnu l’informa que des choses graves nécessitaient sa présence à Paris,

 

attendu que le lendemain, quatre septembre, Godeau reçut dans ses bureaux le sieur Daudet, agent d’affaires et journaliste, qui lui déclara que des voyageurs ou représentants de la société usaient de malversations et de manœuvres coupables auprès de la clientèle pour vendre du vin et lui remit une note détaillée résumant les griefs formulés par certains clients,

 

attendu que cette note comportait en sous-titre « des irrégularités tombant sous le coup des lois pénales … tromperie remarquée … tromperie constatée … menaces de plaintes collectives » et comme conclusion « j’estime qu’aujourd’hui avec le dossier tel que je l’ai constitué et la promesse formelle de témoignages de trente-deux autres clients de cette maison, que j’ai vus, un (?) il nous est possible d’entreprendre une action dont l’issue n’est pas douteuse, en même temps nous communiquerions votre dossier à la presse, ce qui nous vaudrait certainement des centaines de lettres… J’essaierai d’abord d’obtenir un arrangement amiable faute de quoi nous ferons le nécessaire pour déposer une plainte collective avec constitution de partie civile … P.S. à titre indicatif je vous signale que nous nous appuierons pour le dépôt de notre plainte sur les décrets … et les lois des 1er août 1905, 18 juillet 1912 … etc. »,

 

attendu que quoiqu’il l’ait nié, les dépositions de Marcovitch passées à la police et réitérées à l’instruction appuyant les déclarations de la partie civile, Daudet exigea verbalement de Godeau le versement d’une somme de dix-neuf mille cinq cents francs pour règlement des préjudices prétendus occasionnés aux clients dont il se disait le mandataire,

 

attendu que Daudet a fait suivre cette demande d’argent de deux pneumatiques comminatoires dont l’un, celui du six septembre mille neuf cent trente-huit contenait ces lignes « faute pour vous d’en terminer ce jour même avant dix-huit heures par un accord amiable je me verrai dans l’obligation d’utiliser les pouvoirs qui nous ont été confiés aux fins de dépôt de plainte avec constitution de partie civile »,

 

attendu que Daudet en est resté là après le silence et l’abstention opposées par Godeau à ces mises en demeure et qu’il n’a pas donné suite aux démarches faites par lui,

 

attendu que Daudet aurait été mandaté par un sieur Nicolas, client des Grandes Marques Réunies, mais qu’il ne résulte d’aucun des documents produits qu’il l’ait été par d’autres clients, qu’il s’est donc paré d’un titre qu’il n’avait pas pour entamer les pourparlers menaçants dont s’est plaint Godeau,

 

attendu que Daudet a été renseigné par quelqu’un au courant des usages de la société et qu’il est reconnu qu’il était en relations suivies et amicales avec le sieur et la dame Vernay, que la dame Vernay a été pendant longtemps chef-comptable des Grandes Marques Réunies et qu’elle nie, ainsi que son mari, avoir fourni à Daudet le moindre renseignement, tant sur la marche des affaires que sur les noms des clients, qu’en tout cas la preuve n’a pas été rapportée que Vernay qui occupait un poste subalterne de la société ait documenté utilement Daudet et qu’à supposer que lui ou sa femme aient fourni des renseignements à Daudet, il n’est pas démontré qu’ils aient agi dans l’intention de s’associer à une mesure de chantage à l’égard de Godeau, ou d’y participer en connaissance de cause,

 

attendu enfin et pour en terminer avec les actes de complicité reprochés aux époux Vernay par la prévention, que le télégramme du trois septembre 1938 émane de Daudet et non point de Vernay, ainsi qui y concluent deux des trois experts en écriture commis pour examiner au point de vue graphologique l’original du télégramme,

 

attendu que Daudet a donc bien menacé par écrit et verbalement Godeau de révélations et d’imputations de nature à le déconsidérer en tant qu’administrateur délégué de la société, qu’à l’aide de cette menace il a tenté d’obtenir la remise par Godeau d’une somme de dix-neuf mille cinq cents francs et qu’il importe de savoir s’il a agi dans un but de cupidité illégitime,

 

attendu à cet égard qu’il est certain que la somme réclamée n’était pas due et que la question n’a pas à se poser de savoir si elle pouvait correspondre à un montant total de préjudices éventuels dont auraient eu à souffrir certains clients des Grandes Marques Réunies que Daudet, quoiqu’il prétende, n’avait aucune qualité pour aboutir à des versements d’argent dont la taxation était faite d’office et d’autorité par lui seul,

 

attendu que Daudet, homme intelligent, n’a pas pu se méprendre sur la partie des menaces qu’il adressait à Godeau et qu’à supposer que des clients de la société des Grandes Marques Réunies aient eu de justes motifs de se plaindre des agissements de la société il n’appartenait pas à Daudet d’user de menaces dans le but d’arriver au versement d’une somme d’argent,

 

attendu toutefois que Daudet n’a pas mis ses menaces en exécution et qu’il a pu dans une certaine mesure, mal inspiré qu’il était incontestablement, croire toutefois que son action de justicier était légitimée par les circonstances, ce qui est de nature à lui faire octroyer le bénéfice de très larges circonstances atténuantes,

 

Par ces motifs déclare le délit de complicité de tentative d’extorsion de fonds non établie à l’encontre des époux Vernay, en conséquence Relaxe Vernay et la femme Vernay et les renvoie des frais de la poursuite sans dépens,

 

déclare par contre Daudet coupable d’avoir de Paris en mille neuf cent trente-huit ( ?) de menaces écrites et verbales de révélations ( ???) diffamatoires, tenté d’extorquer la remise de fonds du sieur Godeau, la dite tentative manifestée par un commencement d’exécution n’ayant été suspendue et n’ayant manqué son effet que par des circonstances indépendantes de la volonté de son auteur, délit prévu et puni par les articles ( ?) et 400 du code pénal ( ??) application des articles précités dont lecture a été donnée par le ( ?) et qui sont ainsi connues, tentative de crime manifestée par un commencement d’exécution si elle n’a été suspendue et si elle n’a manqué son effet que par des circonstances indépendantes de la volonté de son auteur est considérée comme le crime même, les tentatives de ( ?) ne seront considérées comme ( ?) que dans les cas prévus par une disposition spéciale de la loi 400. Quiconque à l’aide de la menace écrite ou verbale de révélations ou d’imputations diffamatoires aura extorqué ou tenté d’extorquer soit la remise de fonds ou valeurs soit la signature ou la remise des écrits ( ?) sera puni d’un emprisonnement ( ??)

 

condamne Daudet à Cinquante francs d’amende, statuant sur les conclusions de la partie civile condamne Daudet par toutes voies de droit et même par corps à payer au sieur Godeau es qualité la somme de Un franc au titre de dommages intérêts, condamne Daudet aux dépens lesquels sont liquidés savoir : pour ceux prélevés sur la consignation la somme de quatorze francs cinquante centimes et pour ceux avancés par le Trésor la somme de trois mille cinq cent trente francs trente centime plus sept francs cinquante centimes pour droits de poste, fixe au minimum la durée de la contrainte par corps s’il y a lieu de l’exercer.

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