Archives fédérales suisses, AF, E 4320(B) 1991/243/133, dossier C.13.2383
Sion, le 30.9.1947,
Police de sûreté.
MINISTÈRE PUBLIC FÉDÉRAL
Service de Police
N° C.13.2382.
Procès-verbal d’audition
Se présente
DAUDET Georges-Adrien-Valentin, de feu Adrien et de Valentine BEAURET, né le 11.3.1902 à Chaillac (Indre), allié à Madeleine née BRUGNON, administrateur, de nationalité française, dom. à Paris, 181, rue Legendre (17ème.)
D.- Avez-vous, avant ou durant la guerre, appartenu à un quelconque· parti politique ?
R.- En 1924, j’ai adhéré au parti nationaliste « Le Faisceau » à la tête duquel se trouvait Georges VALLOIS, actuellement, si je ne me trompe, éditeur à Paris, ainsi que Philippe BARRES, directeur actuel de « Paris Presse », résidant à Paris. Un troisième personnage se trouvait parmi les membres dirigeants de ce groupement politique. Il s’agit de Philippe LAMOUR, qui est maintenant secrétaire général de la Confédération générale de l’Agriculture française. Ce parti n’a eu qu’une existence éphémère, des dissensions étant survenues entre les chefs et l’organisation manquant totalement de fonds. L’activité de ce parti se borna à des manifestations anti-herriotistes au moment de la chute du franc français en 1924. Le président Herriot était à ce moment à la tête du Gouvernement. Je n’ai, autrement, jamais appartenu à un parti politique.
D.- Quand et dans quelles circonstances avez-vous fait la connaissance ou êtes-vous entré en contact avec Georges OLTRAMARE, dit Dieudonné ou Karl Diodatti ?
R.- J’ai vu OLTRAMARE pour la première fois dans les bureaux du journal « La France au Travail », 142 rue Montmartre. Ceci se passait vers la fin novembre 1940. J’avais, à ce moment, été chargé par le Président LAVAL de reprendre la direction, ou plutôt l’administration, du journal. Le Président LAVAL tenait absolument à procéder au nettoyage de toute l’équipe OLTRAMA.RE, parce qu’il voulait créer un journal apolitique qui serait en mesure de contrebalancer l’influence d’autres journaux qui se montraient réellement par trop germanophiles. Je connaissais LAVAL depuis 1938 sauf erreur. Je lui avais été présenté à l’époque par un ancien député de Montreuil, près de Paris, M. Paul PONCET, qui avait été battu dans sa circonscription, lors des élections de 1936, par Jacques -DUCLOS, l’actuel secrétaire du Parti communiste français. Au cours de la campagne électorale de 1936, j’avais aidé PONCET à combattre la candidature DUCLOS. Ce furent les raisons qui engagèrent PONCET à me faire connaître à M. LAVAL. Depuis ce moment, je suis resté en contact avec ce dernier.
En date du 15.8.1940, alors que je venais d’être démobilisé et de rentrer à Paris, je me suis rendu dans la Haute-Vienne pour rendre visite à ma mère. J’ai profité de mon voyage dans cette région pour aller dire bonjour à M. LAVAL, qui était à ce moment à Vichy. Etant sans travail, M. LAVAL me laissa entendre qu’il me préviendrait lorsqu’il aurait connaissance de quelque chose. Comme je vous le dit plus haut, il me pria en novembre 1940 de reprendre en main « La France au Travail ».
Je n’avais aucune connaissance en matière de technique journalistique. J’étais bien en mesure de rédiger un papier et j’étais très bien versé dans les questions d’administration de sociétés. J’avais, en effet, travaillé dans une société de fractionnement de la Loterie nationale française. J’occupais dans cette société le poste de secrétaire général. En arrivant à « La France au Travail », je me suis d’abord occupé de remettre un peu d’ordre dans la maison, puis de faire le bilan des opérations financières. OLTRAMARE était encore présent à ce moment. Mes compétences se bornaient aux questions purement administratives. Dans le but d’éliminer OLTRAM.ARE, j’ai commencé par recommander à ce dernier M. René SAIVE en qualité de rédacteur.
Dieudonné agréa cette candidature. SAIVE fit entrer à son tour l’un de ses amis du journal « L’Ordre », M. Roger BOUVARD. Quelques temps après, ceci par l’intermédiaire de SAIVE, je faisais entrer en qualité de rédacteur en chef adjoint de la « France au Travail », M. Paul ACHARD, qui était également journaliste à l’Ordre. Ce dernier doit avoir pris ses fonctions en janvier ou février 1941. ACHARD prit aussitôt en main la partie technique du journal, ceci en plein accord avec moi.
ACHARD avait préalablement été informé par moi que l’objectif que nous nous proposions était de liquider OLTRAMARE et toute son équipe. ACHARD s’employa de suite à trouver de nouveaux collaborateurs, pour que ceux-ci soient bien en place en vue de remplacer l’équipe OLTRAMARE, au moment où nous aurions la possibilité de nous passer de ses services. Dans cet ordre d’idée ACHARD engagea des gens tels que M. Elie RICHARD, qui était avant la guerre journaliste et chef des informations au journal « Ce Soir », Charles RUEN, du même journal, Jean LEUILLOT, etc. Nos relations avec OLTRAMARE devenaient toujours de plus en plus tendues, nous en arrivâmes à ne plus nous parler. Un beau soir, alors qu’OLTRAMARE était au marbre en train de vérifier sa copie, je lui remis de la main à la main, en présence d’ACHARD, de SAIVE et de tout le personnel, qui avait été prévenu, sa lettre de congédiement que j’avais moi-même rédigée et signée. OLTR.AMARE n’eut, sur le moment, aucune réaction. Il ne fit que mettre ma lettre dans sa poche et partit. Le lendemain, dans l’après-midi, OLTRAMARE me fit apporter une lettre de l’Ambassade d’Allemagne, lettre signée par ACHENBACH, par laquelle on me donnait l’ordre, de façon courtoise, d’avoir à réintégrer OLTRAMARE dans ses fonctions. Pour autant que je me souvienne, j’ai montré cette lettre à SAIVE et à ACHARD. J’ai pris connaissance de la lettre en question devant l’envoyé d’OLTRAMARE qui attendait dans sa voiture, une Citroën traction avant, devant les bureaux, en compagnie de Jean DRAULT, Henri COSTON, Julien COURTINE et peut-être SAINT-SERGE, soit les fidèles de l’équipe OLTRAMARE. Le porteur de la lettre était un échotier d’un périodique parisien qu’OLTRAMARE avait l’intention de faire entrer à la « France au Travail », s’il avait pu revenir. C’est du moins ce que le journaliste en question me déclara lui-même. Le billet qui m’avait été remis spécifiait encore qu’ACHARD devrait être liquidé. Je ne voudrais pas certifier que cette injonction figurait sur la lettre d’ACHENBACH, mais en tous cas sur un papier qu’OLTRAMARE avait joint au billet d’ACHENBACH. Je répondis au porteur que je n’avais aucune raison d’obéir à l’ordre qui m’était donné et que si par surcroît, OLTRAMARE voulait malgré tout remettre les pieds dans les bureaux, je le ferai jeter dehors.
Le lendemain, c’est à dire le soir même où OLTRAMARE était venu devant les bureaux de « La France au Travail » avec ses amis, je recevais une invitation téléphonique de me rendre à l’Ambassade le lendemain matin. Je répondis à mon interlocuteur qu’il était inutile que je me rende à l’Ambassade, que cette entrevue ne pourrait en aucun cas me faire revenir sur ma décision, que je n’avais fait qu’exécuter les ordres du Président LAVAL, mais que par courtoisie je voulais bien donner suite à son invitation.
Le lendemain, au cours de l’entrevue que j’eus à l’Ambassade avec ACHENBACH et un autre fonctionnaire allemand, ceci en présence d’OLTRAMARE, ce dernier me reprocha en particulier d’avoir fait entrer au journal des gens, tels qu’ACHARD et SAIVE, qui saboteraient la politique de collaboration franco allemande et qui avaient travaillé à des journaux de gauche, tels que l’Ordre et le Soir, journaux qui s’étaient volontairement sabordés au moment de l’arrivée des Allemands à Paris. Au moment où OLTRAMARE me fit ces reproches, ACHENBACH me demanda si ces gens venaient bien des journaux en question. Je lui répondis par l’affirmative en lui faisant remarquer que nous les avions engagés régulièrement, que la Propagandastaffel n’avait élevé aucune objection, pas plus d’ailleurs que le Groupement corporatif de la Presse et que les messieurs nouvellement engagés ne faisaient l’objet d’aucun interdit de la part des Autorités allemandes. D’autre part, je faisais remarquer que SAIVE et ACHARD n’étaient que des techniciens de la profession et que nous n’avions nullement besoin de rédacteur politique. Devant mon attitude intransigeante, ACBENBACH me demanda d’accepter les papiers d’OLTRAMARE jusqu’à ce qu’il ait eu l’occasion d’examiner la question avec le Président LAVAL. OLTRAMARE nous fit effectivement parvenir un ou deux articles, dont le dernier fut volontairement mutilé, ce qui engagea l’intéressé à cesser toute collaboration à « La France au Travail ».
Je n’ai dès ce moment jamais plus revu OLTRAMARE et partant, je n’ai plus eu de relations avec lui.
Depuis l’entrevue à l’Ambassade avec ACBENBACH, on me laissa tranquille. Ceci était peut-être dû au fait que le Président LAVAL intervint directement auprès des Autorités allemandes. Néanmoins, OLTRAMARE déposa une plainte auprès du Groupement corporatif de la Presse pour renvoi ou licenciement abusif.
Je fus peu après convoqué devant le Comité directeur du Groupement corporatif qui me demanda des explications au sujet du licenciement d’OLTRAMARE. Je répondis que l’intéressé n’avait pas été engagé régulièrement, que, par surcroit, s’il portait le titre de rédacteur en chef, il n’en exerçait pas les fonctions, se bornant à préparer son éditorial politique et que par ailleurs, le journal ne lui versait pas d’appointements.
En effet, depuis le 1er décembre 1940 jusqu’au moment où il quitta « La France au Travail », je ne lui ai jamais versé un centime, exception faite du remboursement de quelques petites notes de frais peu élevées. Je n’ai jamais su de quoi il vivait. Je savais qu’il collaborait à la radio, mais je ne sais pas si cela lui permettait de vivre. Pour ce qui me concerne je suis resté à « La France au Travail » jusqu’en date du 1er novembre 1941, tout en m’occupant de la mise au point de la Société Populaire d’Edition et d’impression. J’ai dès ce moment abandonné complètement « La France au Travail » pour me vouer exclusivement à « La France socialiste », qui juridiquement n’avait rien à voir avec l’autre journal. J’ai choisi les meilleurs éléments de « La France au Travail » pour monter « La France socialiste », c’est à dire SAIVE, RICHARD, RUEN, BOUVARD, LEUILLOT, pour ne parler que du personnel de la rédaction. « La France au Travail » cessa de paraitre le ler.11.1941 et le premier numéro de « La France socialiste » sortit de presse le 12.11.1941. Les nouveaux bureaux se trouvaient 30, Rue de Gramont et le journal était imprimé chez Delion, rue du Croissant. L’argent pour ce nouveau journal avait été fourni au départ par le Président LAVAL. Le journal devait être apolitique et c’était dans cette seule condition que j’en avais accepté la direction. Mais au bout de très peu de temps, les Allemands intervinrent et exigèrent de LAVAL que des articles politiques y fussent publiés, notamment par René CHATEAU et Francis DESPHILIPONT, dirigeants du mouvement « France Europe » et membres du Comité directeur du parti de Marcel DEAT. Je déclarai au Président LAVAL que je ne pouvais continuer à assumer la responsabilité effective de la direction du journal et je demandai à ce que le responsable de la partie politique, René CHATEAU, ait une délégation de pouvoir comme directeur politique, ce qui fut fait. J’étais en somme le directeur général du journal, mais à fonction administrative exclusivement. Hubert LAGARDELLE succéda à René CHATEAU dans les mêmes conditions, comme directeur politique. Je suis resté à « La France socialiste » jusqu’à la parution de son dernier numéro, soit en date du 12 ou 13 août 1944, si je ne fais erreur. Pour la suite, je m’en réfère à ma première déclaration. Je tiens néanmoins à souligner que je n’ai jamais pris part à aucune assemblée de presse en dehors des réunions professionnelles.
D.- Savez-vous si OLTRAMARE appartenait à un service allemand ?
R.- Je ne suis pas en mesure de vous renseigner dans ce domaine.
Je n’ai pas suffisamment connu l’intéressé pour pouvoir affirmer quelque chose dans cet ordre d’idée. D’autre part le Président LAVAL qui était certainement au courant de beaucoup de chose ne m’a jamais fait une quelconque allusion dans ce domaine. Je sais simplement qu’il ne cachait pas ses sympathies pour le IIIème Reich.
D.- N’avez-vous jamais émargé aux fonds secrets ?
R.- Non jamais, mais il est par contre entendu que « La France socialiste » toucha son capital initial du Président LAVAL. Mais le journal une fois lancé n’a jamais touché un centime de personne. L’examen de la comptabilité prouve d’ailleurs qu’il était largement bénéficiaire.
D.- Avez-vous quelque chose à ajouter ?
R.- Tous les papiers que j’ai remis à la Police cantonale valaisanne au cours de mon premier interrogatoire étant au nom de MALEINE Georges, mon nom d’emprunt de légionnaire, je vous remets aujourd’hui ma carte d’identité établie à mon véritable nom.
D.- Avez- vous au cours des entretiens que vous avez inévitablement dû avoir avec OLTRAMARE, entendu que celui-ci ait fait des réflexions quelconques sur le compte de la Suisse ?
R.- Jamais.
Fait à Sion, le 30 septembre 1947.
Le personnel de Police : MINISTERE PUBLIC FEDERAL
Service de Police :
Müller, insp.
Lu et confirmé : signé : Daudet