Luc van Dongen, Le refuge des vaincus, Annales valaisannes, 2005, p. 153

Les grands principes, au demeurant fort élastiques, sont cependant loin de rendre compte du véritable processus qui a rendu possible le refuge brun. Pour saisir la réalité, il est nécessaire de se plonger dans les situations concrètes. Ainsi, le collaborationniste pur sucre Georges Daudet (1902), qui avait été chargé par Laval d’administrer le journal La France au travail en novembre 1940 et qui avait ensuite dirigé La France socialiste jusqu’en août 1944, était par exemple parvenu à s’installer en Suisse grâce à un faisceau pluriel et particulier de facteurs. Au début, non seulement le MP refusa de le considérer comme réfugié politique, ce qui était conforme aux principes, mais il ne voulut pas non plus le prendre sous son contrôle, sous prétexte qu’il avait été un partisan inconditionnel de Laval. Singulier argument ! Celui-ci reposait certes sur l’image très en vogue à l’époque d’un bon et d’un mauvais Vichy, mais aucun texte ne mentionnait une telle nuance. Puis, on décida quand même de le tolérer. La nouvelle de sa condamnation à mort, l’attitude favorable du Valais, l’intérêt du MP pour sa personne, sa promesse de quitter la Suisse dès que possible et l’intervention d’un influent notable valaisan furent sans doute à l’origine de la décision. Toujours est-il qu’il se fixa en Valais, où il entra rapidement au service de la maison Charles Duc, importateur en gros de denrées coloniales. En septembre 1954, un inspecteur suisse notait que Daudet, ainsi d’ailleurs que tous les réfugiés français qui se trouvent encore en Valais, n’[a] jusqu’à maintenant jamais fait d’efforts trop considérables pour chercher à quitter la Suisse. En outre, (il) a maintenant quatre enfants. Les deux cadets sont nés à Sion, où la famille est, à présent, très bien installée. Depuis sept ans, l’intéressé voyage pour la même maison, où il est excellemment noté. Il gagne sa vie largement, après avoir dû travailler d’arrache-pied pour se faire une clientèle. Pourquoi donc chercherait-il à retourner en France ? Ce n’est peut-être pas conforme aux prescriptions qui lui furent imposées à l’époque […], mais c’est par contre humain. L’ancien propagandiste décédera quatre ans plus tard, alors qu’il était établi régulièrement, et sera enterré à Sion le 17 novembre 1958.

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